Changement climatique, droit d’auteur et patrimoine culturel

Jean Dryden

Jean Dryden

Quel rapport peut bien exister entre le droit d’auteur et le changement climatique ? Il semble difficile, a priori, d’établir un lien entre ces deux concepts. Pourtant, ils ont en commun une de nos missions fondamentales, celle de la conservation.

Depuis des lustres, les archivistes assurent la conservation de leurs fonds grâce aux techniques de reproduction. Autrefois, nous sauvegardions de vieux journaux écornés sur microfilm. Nous réimprimions des photos pour garder des tirages de référence. Les chercheurs ne pouvaient consulter que des copies, les originaux, fragilisés par les manipulations, étant devenus trop vulnérables. Aujourd’hui, nous transformons les documents papier en documents numériques. La conservation d’archives « nées numériques » en passant des formats propriétaires aux formats dits « ouverts » fait désormais partie de notre quotidien, tout comme les migrations périodiques vers des versions plus récentes rendues nécessaires par l’inéluctable obsolescence des logiciels et matériels. Autre urgence, celle de numériser les cassettes audio et vidéo, car les bandes magnétiques se dégradent au fil du temps et les appareils nécessaires à leur visionnage ne sont plus disponibles dans le commerce !

La reproduction à des fins de conservation soulève forcément des questions de droit d’auteur. Toute reproduction, même réalisée dans l’intérêt général, nécessite l’autorisation préalable du titulaire du droit d’auteur (voire l’acquittement d’une redevance), sauf si la législation nationale en la matière prévoit des dérogations permettant aux archives de dupliquer des documents à des fins de conservation. Or, plus de 25 % des législations nationales sur le droit d’auteur à travers le monde interdisent ce type de reproduction.

Dans de nombreux pays, des fonds d’archives irremplaçables sont menacés par des phénomènes tels que l’élévation du niveau de la mer, les tempêtes, les inondations, la sécheresse et les incendies ravageurs provoqués par le changement climatique. La protection de notre patrimoine archivistique passe, entre autres, par la création de copies numériques qui peuvent ensuite être stockées « dans le nuage » ou tout autre lieu sûr. Certaines institutions ne disposent cependant pas des ressources nécessaires, la numérisation devant alors être réalisée à l’étranger. Là également, le droit d’auteur peut faire obstacle au franchissement des frontières. La législation en la matière est une affaire nationale. Même s’il existe une dérogation permettant la reproduction gratuite à des fins de conservation, sans autorisation préalable, dans la législation du pays A, tel ne sera pas forcément le cas dans le pays B (où la reproduction doit s’effectuer). La reproduction à des fins de conservation y constituerait alors une violation du droit d’auteur. Ce paysage législatif disparate vis-à-vis des dérogations prévues dans les diverses lois sur le droit d’auteur à travers le monde empêche les archives de mener les actions nécessaires à la conservation de leurs fonds et d’en assurer l’accessibilité au-delà des frontières.

Il nous faut impérativement un traité international contraignant pour fixer le cadre nécessaire à une mise en cohérence des dérogations au droit d’auteur accordées aux archives, afin qu’elles soient en mesure de mener à bien leur mission de conservation. Or, seule l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a le pouvoir de mettre en place un tel traité. Le changement climatique représente une menace gravissime pour l’avenir de notre patrimoine documentaire. En l’absence d’un régime de dérogations harmonisé à travers le monde, tous nos efforts de conservation seront vains. Sans plus tarder, une intervention de la part de l’OMPI s’impose !

Jean Dryden,
Représentante de l’ICA au sein du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes (SCCR) de l’OMPI