Archives et droit

Bruno Ricard

Bruno Ricard

Le droit a longtemps constitué un moyen de renforcer la position des archives dans nos sociétés. L’adoption de lois sur les archives et/ou sur l’accès à l’information étaient accueillies comme autant de victoires, en particulier lorsqu’elles établissaient le principe de la libre communicabilité par défaut et fixaient des délais équilibrés pour les documents qui n’en relevaient pas, assortis de voies de recours en cas de refus d’accès. Le droit de la réutilisation des informations publiques, puis le concept d’open data, s’inscrivent dans ce mouvement.

Mais ce corpus juridique n’est que le coeur d’une nébuleuse qui ne cesse de s’étendre, notamment sous l’effet de la mutation numérique de la société et qui, parfois, remet en cause certaines positions considérées comme acquises. Dans cette nébuleuse, nous pouvons citer le droit relatif aux données à caractère personnel. Ce droit prend aujourd’hui la forme, dans l’Union européenne, du célèbre RGPD (règlement général relatif à la protection des données). Plaçant le « droit à l’oubli » au cœur de son dispositif, il était, aux premiers stades de sa conception, orthogonal avec le droit des archives. Archivistes et historiens se sont mobilisés comme jamais pour que soit préservé, par dérogation, le droit à la mémoire et à l’histoire. Une bataille a été remportée, mais le sujet n’est pas éteint et la communauté des archivistes doit rester vigilante et devra régulièrement réaffirmer son rôle dans la société. Cela vaut pour le droit des données à caractère personnel, mais aussi pour d’autres régimes juridiques, comme celui de la propriété intellectuelle, dont les effets sur la gestion des archives sont de plus en plus sensibles au point, parfois, de conduire l’archiviste à évaluer le risque juridique.

Dans des sociétés qui sont soumises à de nouveaux risques géopolitiques et connaissent un regain de tensions internes, où par ailleurs les citoyens exigent davantage de transparence mais aussi, dans un mouvement qui n’est paradoxal qu’en apparence, une protection accrue de leur vie privée exposée aux fragilités numériques, le droit des archives est entré dans une zone de turbulences. Dans une relation triangulaire législateur/citoyen/expert, nos sociétés démocratiques offrent à l’archiviste l’occasion d’intervenir dans l’écriture des textes. Qu’il continue de s’emparer de cette faculté et de proposer les savants équilibres qui permettront de sauvegarder sur le temps long les grands principes qui régissent la gestion des archives et le rôle fondamental que remplissent les archives, l’histoire et la mémoire pour les citoyens d’aujourd’hui et les générations futures.

Bruno Ricard, Directeur des Archives Nationales (France)