La conservation numérique à petit budget : est-ce possible ?

Anthea Seles

Anthea Seles

La conservation numérique est un service qui devrait être systématiquement proposé et pris en charge par toutes les institutions archivistiques. Or, beaucoup d’archivistes ont tendance à reculer devant l’ampleur de la tâche qui les attend, ne sachant souvent pas par où commencer, notamment lorsque les ressources (humaines, financières et structurelles, par exemple) à leur disposition sont limitées. D’où ma question : la conservation numérique à petit budget est-elle possible ? Dans l’affirmative, comment ? Et dans le cas contraire, que vont devenir vos précieux documents numériques ?

Normes relatives à la conservation numérique et modèles de maturité

Il existe deux normes internationales relatives à la conservation numérique. La première porte sur le Système ouvert d’archivage d’information (SOAI) (ISO 14721) et la deuxième sur l’Audit et la certification des référentiels numériques (ISO 16363). Soyons clairs, SOAI est un modèle conceptuel et NON PAS un modèle de certification. Par là, j’entends que cette norme vise à élaborer une terminologie commune pour que les professionnels de différents secteurs soient en mesure de communiquer entre eux sur les objets numériques, leur collecte, leur conservation et leur mise à disposition. Cependant, je me dois d’ajouter que le concept de « référentiel numérique conforme à SOAI » n’existe pas, ce qui veut dire que, si vous souhaitez évaluer la conformité d’un référentiel numérique, vous devrez vous tourner vers une norme de certification, par exemple l’ISO 16363. Cette dernière décrit les caractéristiques qui permettent à un référentiel numérique d’être considéré comme étant « de confiance ».

À l’époque où je suivais mes études de doctorat à l’University College de Londres, j’ai procédé à l’étude et à des recherches sur l’applicabilité de ces deux normes en vue de leur utilisation dans les milieux à faibles ressources (en anglais uniquement). J’ai donc pu constater que celles-ci s’appuient sur de nombreuses hypothèses – y compris dans le modèle conceptuel – concernant, entre autres, les infrastructures ou l’accès à du personnel qualifié. Selon moi, la norme ISO 16363 et les critères qu’elle fixe pour la certification constituent des exigences difficilement réalisables, même pour des institutions disposant de ressources importantes. Cela étant, il me semble que bon nombre de normes visant la certification de référentiels numériques rendent l’obtention de cette certification quasi-impossible, sauf pour les organisations disposant de ressources conséquentes. Il va sans dire que les conditions imposées en matière de certification doivent être exigeantes pour garantir une collecte, une conservation et une accessibilité satisfaisantes des supports numériques. Mais si les normes fixées en matière de certification sont hors de portée, y compris pour les institutions les mieux loties, alors quel en est l’intérêt ?

Un des moyens qui pourrait aider les organisations à préparer le terrain en vue d’une certification consiste à recourir aux modèles de maturité. Celui proposé par la DPC, le modèle d’évaluation rapide (Digital Preservation Coalition Rapid Assessment Model), disponible uniquement en anglais, offre aux organisations un bon moyen de situer leur point de départ et de prendre conscience du chemin à parcourir. Mais la question de la conservation numérique à petit budget et des méthodes pour y parvenir reste entière…

Tout n’est pas perdu !

L’image que je viens de dépeindre des normes sur la conservation numérique et de leur application n’est certes guère reluisante, mais tout n’est pas perdu pour autant ! À l’époque où j’ai suivi mes études en archivistique, aucune formation pratique en conservation numérique ne nous était proposée. Tout cela est désormais en train d’évoluer et c’est tant mieux ! Mais il existe encore aujourd’hui, partout dans le monde, des écoles qui proposent des cursus en archivistique ou en sciences de l’information qui ne comportent ni ne proposent de formation en conservation numérique. En outre, les stages de formation continue en la matière se comptent sur les doigts d’une main, même si la situation est également en train d’évoluer à cet égard. Parmi les quelques stages pour débutants, je citerai « Novice to ninja », de la DPC, et celui dont le lancement par l’ICA est prévu à l’automne 2020 sur la « Gestion des archives numériques ». Il existe également de très bons webinaires qui abordent dans le détail les aspects dont doivent tenir compte les institutions envisageant de se lancer dans la conservation numérique. Je vous conseille de jeter un coup d’œil sur celui de l’Université de Westminster (Londres). En outre, je suis persuadée qu’il existe de nombreuses autres ressources à votre portée dont j’ignore l’existence. Si vous en connaissez, faites le moi savoir. Je serai ravie d’en être informée !

Mais je suis consciente d’avoir tourné autour du pot jusqu’ici. Revenons-en à la question de départ : à quoi peut ressembler la conservation numérique à petit budget ? Si une organisation ne dispose d’aucune ressource et souhaite savoir par où commencer, il y a trois (3) aspects qui, à mon sens, sont d’une importance primordiale :

  1. Identification du format des fichiers – Il vous faut bien connaître le format de vos contenus pour appréhender la manière d’en assurer la conservation.
  2. Contrôles d’intégrité – Également appelés « sommes de contrôle » ou « empreintes ». Il s’agit de séquences alphanumériques vous permettant de vérifier que vos contenus numériques n’ont subi ni corruption ni altération au fil du temps.
  3. Sauvegardes – « Faisons des copies » : telle doit être la devise de l’archiviste numérique. La conservation d’archives numériques passe obligatoirement par l’existence de redondances intrinsèques. Ainsi, en cas d’altération, vous disposerez d’une solution de secours, dans la mesure où il existera au moins 2 ou 3 copies de vos dossiers ou de vos fonds numériques.

De nombreux outils gratuits existent pour vous aider à identifier le format de vos fichiers et à contrôler leur intégrité. Parmi ceux-ci, il y a l’outil appelé DROID, que je connais bien et que j’apprécie beaucoup. Il est développé par les Archives nationales du Royaume-Uni, mais il en existe bien d’autres. Je fais encore appel à vous : si vous avez connaissance d’un outil de qualité, d’utilisation facile et librement accessible, j’ai hâte d’en savoir plus !

Décrire tous les aspects de la conservation numérique à petit budget, en signalant l’ensemble des éléments à retenir, dans un bref billet de blog n’est pas chose facile. Je dois tout de même ajouter qu’une conservation numérique de ce type est forcément extrêmement chronophage, implique de nombreuses interventions manuelles et une attention toute particulière au moindre détail ! Numérique N’EST PAS synonyme d’automatique. Par conséquent, des connaissances en .csv et Excel vous seront fort utiles. Je vous conseille donc de suivre des formations à l’utilisation d’Excel ou de rechercher des tutoriels de ce genre sur YouTube. Les ressources ne manquent pas et je compte sur vous pour jouer le jeu et partager votre expérience de la conservation numérique à petit budget !

Je lance donc un appel à la communauté archivistique : qu’attendez-vous pour vous jeter à l’eau ? Je sais que la tâche peut sembler insurmontable, mais il n’en est rien grâce à toutes les ressources d’ores et déjà disponibles. Comme on dit : il n’y a que le premier pas qui coûte !