« Concevoir les archives » : tel est l’excellent thème retenu pour la conférence annuelle de cette année. Il englobe tous les aspects de la démarche archivistique et met toutes les institutions face à la nécessité d’adopter une approche holistique lors de la conception de leurs services, de leurs fonds, de leurs structures organisationnelles, du choix de leurs collaborateurs, de leur présence en ligne et de leurs installations physiques. Au fur et à mesure de l’évolution technologique et de ses répercussions sur les systèmes d’archivage, à une époque où les attentes du public en matière de prestations deviennent de plus en plus grandes et que la culture organisationnelle doit s’adapter à l’arrivée d’une nouvelle génération de collaborateurs, la planification et la conception des archives commencent à représenter une priorité absolue.
La planification durable est un processus continu, flexible par nature mais toujours mené dans le respect des valeurs et des principes propres aux disciplines de l’information. Vues sous cet angle, les traditions et habitudes du passé ne peuvent qu’être remises en question et adaptées aux nouvelles circonstances. En ce qui concerne les archives, il convient de définir clairement les prestations que nous souhaitons proposer, que ce soit en ligne ou dans des installations physiques, notre public cible ainsi que le modèle économique à adopter.
Pour une archive gouvernementale, le premier client sera le citoyen, dont les intérêts à long terme sont défendus grâce à la mise à disposition de services d’archives performants dans les agences et services de l’État. Il s’agit, entre autres, de la gestion, de la conservation et de l’évaluation des archives, de leur référencement, de la protection de la vie privée et de l’accessibilité des services informationnels. La conception de tels services doit viser le confort et la facilité d’utilisation, en rappelant à tout le personnel d’encadrement au sein de l’organisation que les archives et documents d’activité, indépendamment de leur format, constituent des actifs précieux et irremplaçables, à gérer aussi efficacement que tout autre actif (finances et ressources humaines). Il conviendra donc de mettre en place un système de suivi et des audits de conformité.
Les prestations proposées aux auteurs, aux chercheurs, aux avocats, aux tribunaux, aux écoles et au grand public transitent de plus en plus via internet et, de nos jours, les étudiants vont rarement au-delà d’une simple recherche sur leur smartphone ou ordinateur. Dans quelle mesure les ressources archivistiques et les prestations connexes peuvent-elles être rendues complètement accessibles via le web ? Pour les archives, une collaboration avec des partenaires du secteur privé dans la mise en place de systèmes de numérisation et de moteurs de recherche peut certes les aider à atteindre leurs objectifs en matière d’accès ouvert (« open access »), mais cela a tendance à rompre le lien traditionnel entre chercheurs et archives. Bien que l’utilisateur reconnaisse les avantages de la prestation de « recherche » et accepte d’en payer le prix, il ne se rend jamais aux archives physiques où sont stockés les dossiers concernés et a même tendance à en oublier l’existence. Comment obtenir l’appui des utilisateurs de toutes catégories, réels et potentiels, tous concernés par la nécessité de préserver l’intégrité des archives ?
Pour le grand public, une archive gouvernementale se doit d’identifier et de conserver les traces essentielles de la citoyenneté et de la constitution, des droits de l’homme et des entreprises au sein d’une société, des décisions prises par l’État, du cadastre, du service militaire, des brevets, et bien d’autres éléments encore. Ce ne sont pas des clients mais des citoyens. Ils n’auront peut-être jamais l’occasion de consulter les archives en question, mais comptent sur ces travailleurs méconnus que sont les archivistes pour assumer les responsabilités qui leur incombent en la matière. Sachant que, de nos jours, les États réalisent des prestations de diverses façons et en liaison avec de nombreux partenaires, et que les décisions politiques sont tributaires de multiples influences externes, certaines archives gouvernementales ont choisi de réorienter leur activité sur des archives plus générales relatives à la gouvernance, en fixant leurs priorités en matière d’acquisition et d’octroi de ressources pour mieux renseigner la société civile.
Lorsqu’un service d’archives définit la gamme de prestations qu’il va proposer à la société ou à la communauté qu’il est appelé à servir, il doit impérativement éviter toute forme d’autocentrisme et définir son rôle en fonction des objectifs sociétaux globaux ainsi que des priorités et des ambitions sociétales. Quant aux prestations proposées, elles devront être conçues en tenant compte des intérêts et des liens éventuels avec d’autres sources d’informations en vue de créer des partenariats avec elles. De manière plus générale, puisque les personnes ont tendance à se déplacer au niveau national et international, leur patrimoine archivistique peut être dispersé, ce qui implique que les prestations proposées devront correspondre aux besoins d’une société mondialisée. D’où la nécessité impérieuse de forger des partenariats avec d’autres services d’archives, d’autres collaborateurs et d’autres professions. Le patrimoine archivistique d’une nation ne se trouve pas entre les quatre murs d’une seule et même institution mais, dans la plupart des pays, dans un réseau complexe de services d’archives, qu’elles soient gouvernementales, institutionnelles ou privées. Chaque service est certes isolé physiquement, mais tous doivent se mettre petit à petit à collaborer pour permettre une plus grande accessibilité en ligne.
Une fois qu’on a choisi et élaboré les prestations à réaliser, on peut alors se lancer dans la conception d’un bâtiment capable d’abriter et de symboliser ces différents services et d’incarner le prestige et la portée d’un document d’archive. La présence des archives en ligne fait partie intégrante des actifs et des prestations. Il s’agit donc de concevoir et de planifier le site web, les réseaux sociaux et le bâtiment de façon globale et coordonnée.
Les évolutions en cours impactant les archives ne sont ni des phénomènes passagers ni une mode éphémère. Elles provoquent des ruptures, posent des défis et sont constamment en mouvement. Elles sont bien réelles et poursuivront leur petit bonhomme de chemin. La marque des archives de demain sera leur flexibilité : dans leurs structures organisationnelles, leurs modèles de service et leurs effectifs. Tous les programmes devront être systématiquement passés en revue. L’organisation devra favoriser l’innovation et l’évolution grâce à des projets pilotes destinés à tester de nouvelles démarches. Dans cette optique, des évaluations rigoureuses seront menées et il faudra savoir courir le risque de commettre des erreurs, quitte à en tirer les enseignements qui s’imposent. Pour cela, de nouvelles compétences seront nécessaires. Les institutions modernes ont toutes besoin d’un panel d’experts varié, tous défendant les mêmes objectifs et les mêmes valeurs, mais chacun apportant sa contribution quant à la manière d’y parvenir selon sa propre perspective. Grâce à une interaction constructive, un travail d’équipe et une direction prête à adapter ses attributions budgétaires classiques pour permettre de financer des projets pilotes, des galops d’essai, voire d’assumer un certain nombre d’échecs, un service d’archives pourra rester en phase avec la société dans laquelle il évolue.
Il y a quelques années, le responsable de la fonction publique du Canada a lancé un appel à tous ses collaborateurs en leur demandant de travailler main dans la main, d’innover et d’aller courageusement de l’avant. Nous vivons dans une époque où essayer de faire avancer la cause archivistique revêt un caractère passionnant mais on ne peut plus délicat. La démarche est pourtant inéluctable. J’espère que les échanges qui se dérouleront à Adélaïde se traduiront par des coups de pied dans la fourmilière. Profitez-en !
Par Ian E. Wilson, Ami de l’ICA,Conseiller spécial, Archives nationales des Émirats arabes unis,Ancien bibliothécaire et archiviste du Canada.