CHANGEMENT RADICAL DE LA CONCEPTION DES ARCHIVES DU 21e SIÈCLE DOCUMENTATION, EXPÉRIENCE ET IMAGINATION

Photo de l’auteur par Leonidas Papadopoulos

Je me rappelle très bien, aux alentours de l’an 2000, lorsque j’étais étudiant en bibliothéconomie, avoir été frappé par l’excitation qui régnait autour de moi concernant la numérisation, et comment cette technologie était supposée assurer la survie des bibliothèques et des archives.

En tant que stagiaire à la Bibliothèque de l’École des Beaux-Arts d’Athènes, où j’étudiais les travaux menés pour conserver et préserver les différents fonds, je me suis régulièrement trouvé confronté à l’idée que, grâce à la numérisation, le patrimoine stocké dans les archives et bibliothèques serait protégé et sa pérennité assurée, triomphant, en quelque sorte, des menaces traditionnelles que sont les incendies, les inondations ou l’usure liée à la surutilisation ; tout cela grâce au pouvoir d’une nouvelle dimension, celle des documents « nés numériques » ou « numérisés ».

Presque vingt ans plus tard, me voici conservateur d’une œuvre classique du Net art. Je ne vais pas ici m’étendre sur mon travail, car je ne crois pas qu’il soit important, pour l’instant, de s’attarder sur l’artiste concerné ou sur son œuvre.

Ce qui compte, c’est que j’ai été embauché à un tarif extrêmement bas (si bas que cela n’en valait presque pas la peine) pour participer à la conservation d’une œuvre d’art conçue au milieu des années 1990, destinée à être mise en ligne mais en fin de compte redéveloppée sous forme d’une série de représentations, poèmes et événements hors ligne, basés pour l’essentiel sur une archive à contenu textuel et une base de données alimentée par les contributions des utilisateurs. Le projet est toujours en cours et se distingue dans les cultures en réseau comme un petit bijou de sensibilité.

Mon rôle consistait à corriger les erreurs de codage, à élaborer des consignes, travail jamais abouti, à recréer et à assurer la migration entre formats, par exemple de « Flash » à « mp4 », etc.

Ouvrage de la bibliothèque de l’École des Beaux-Arts d’Athènes.
Illustration : livre endommagé en attente de numérisation, photo prise par l’auteur

Dans cette contribution, je vise surtout à mettre en exergue la nécessité d’élaborer une nouvelle conception radicale de l’archivage au 21e siècle, en vue de gérer des archives au contenu créé par les utilisateurs. Voici l’un des meilleurs exemples de cette nouvelle forme de collaboration : un jour, l’artiste m’a demandé de recréer une page de son œuvre qui avait disparu et que je n’avais jamais vue de ma vie ! Comment procéder ? Je me suis servi de la « machine à remonter le temps » du Net, ai tenté de restaurer les contenus que j’ai pu trouver, ou encore ai puisé dans les souvenirs de l’artiste et dans ceux d’autres personnes ayant eu l’occasion de voir la page en question. Il va sans dire que j’ai dû aussi faire preuve de beaucoup d’imagination pour reconcevoir cet objet qui m’était inconnu !

Autrement dit, la documentation, l’expérience et l’imagination sont au cœur de tout discours actuel sur l’archivage. La reconception d’une archive revêt un caractère encore plus important que sa conception initiale, pour ce qui concerne la nature de cette archive et le rôle qu’elle est susceptible de jouer. Les supports numérisés ou nés numériques ne sont pas des choses futuristes, ils existent bel et bien aujourd’hui et peuvent encore évoluer. D’ailleurs, il faut qu’ils évoluent, sinon ils deviendront des espaces vides, des plateformes et des contenus délabrés, n’ayant de signification culturelle que pour les experts et leurs auteurs.

Par NIKOS VOYIATZIS , CONCEPTEUR MÉDIAS, BIBLIOTHÉCAIRE FORMATEUR