Je m’appelle Natasha, j’ai 58 ans à peine ; je suis Russe, archiviste, gestionnaire documentaire, consultante, universitaire, enseignante, écrivaine et traductrice.
Selon moi, le plus grand défi professionnel que nous aurons à relever n’est pas celui d’une technologie en constante évolution. Tout d’abord, il nous faudra comprendre notre rôle et notre mission dans ce nouvel environnement complexe et hétérogène et savoir prouver notre utilité à nos employeurs et à la société en général. La définition de notre mission et de nos objectifs déterminera les connaissances, compétences et capacités professionnelles indispensables à leur réalisation, démarche qui conditionnera ensuite nos besoins en enseignement et en formations. Notre deuxième grand défi sera de nous défaire de nos vieux paradigmes non seulement ceux de l’ancienne époque du « papier » mais également ceux qui ont pris forme pendant les premières années de la révolution numérique.

Ma vision de la profession, aujourd’hui et demain, est la suivante :
- Le nombre d’archivistes et de gestionnaires documentaires sera réduit à deux ou trois personnes dans les grandes entreprises, mais leurs compétences seront plus vastes et leur poste sera davantage managérial. Il regroupera les fonctions d’archiviste traditionnel, de juriste spécialisé en « informations », d’informaticien et de professionnel de la sécurité de l’information ;
- Au sein de la profession, les archivistes sont face à un choix cornélien : devenir des experts multidisciplinaires capables d’aborder différents enjeux avec une casquette de dirigeant ou être remplacés par d’autres professionnels (plus probablement des informaticiens) ;
- Notre avenir presque inéluctable digne d’un roman d’Orwell nous contraindra à gérer toutes les informations parallèlement à notre gestion des archives ;
- Le rythme de production des documents papier ne ralentit pas et, dans certains pays, il s’accélère de façon inquiétante. En outre, aujourd’hui, la plupart des documents produits récemment ont une valeur pérenne, les moins importants ayant déjà été numérisés. Les archives papier vont donc perdurer mais leur seule caractéristique en dehors du numérique sera les documents eux-mêmes. Les critères appliqués lors de l’évaluation de documents papier seront plus stricts, ne serait-ce que par manque de lieux de stockage. Certains documents papier déjà répertoriés de moindre valeur seront probablement numérisés et les documents source ensuite détruits ;
- Les capacités essentielles à la bonne manipulation de documents papier sont, de toute évidence, déjà en voie de disparition. Alors que nous ne sommes pas encore en mesure d’assurer efficacement la conservation des dossier numériques, nous risquons de voir aussi les documents papier disparaître ;
- La croissance exponentielle des archives et informations numériques va se poursuivre pendant encore quelque temps, jusqu’au moment où elle sera stoppée (ou du moins freinée) par un bouleversement des processus de travail. La variété et la complexité des dossiers numériques ne cessera de s’amplifier, des objets plutôt inattendus jouant le rôle de documents d’archives. Leurs capacités étant différentes, les organismes auront recours à toutes sortes de technologies, anciennes et contemporaines, en même temps, ce qui risque d’ajouter du piment dans la vie des archivistes.
- La gestion d’archives et de documents « hybrides » (papier et électroniques) représentera un enjeu majeur. La plupart du temps, le problème sera réglé par la numérisation des documents papier suivie de leur destruction ;
- Dans le cas de nouvelles technologies de rupture telles que l’IA, la gestion archivistique ou documentaire envisagée volontairement sous l’angle de ces technologies peut s’avérer la seule manière d’assurer transparence, ouverture et autonomisation ;
- Un grand volume d’actifs numériques complexes nécessitera de nouvelles démarches (par exemple, l’hébergement dans le nuage (« cloud ») ou chez des prestataires spécialisés de documents devant rester sous le contrôle de leurs créateurs) ;
- Les grandes archives numériques emploieront un nombre limité d’archivistes qualifiés et formés (moins de 10 % des effectifs), ces archivistes devant disposer de connaissances hétéroclites pointues et de bonnes compétences en gestion. Les archivistes œuvrant au sein de structures plus modestes seront nécessairement des touche-à-tout ;
- Les principes de base de l’archivistique devront êtres revus afin de tenir compte des évolutions actuelles et futures.
Je peux, bien sûr, me tromper, et l’avenir sera peut-être encore plus complexe, surprenant et périlleux, semé d’embûches et riche en possibilités merveilleuses !
Par Dre Natasha Khramtsovsky est experte en gestion archivistique et documentaire auprès du distributeur russe de logiciels Electronic Office Systems Sarl. Elle est aussi experte nationale au sein de l’ISO et de l’ITU, membre de l’ICA et d’ARMA International.