Associations professionnelles : transition de l’activisme archivistique à la conception d’archives sociales

En tant qu’associations professionnelles de l’archivage, notre objectif premier consiste à défendre le statut social et la reconnaissance professionnelle des archivistes et gestionnaires de documents. Pour atteindre cet objectif, l’un des moyens dont nous pourrions user serait la promotion de projets innovants, hors de la portée des archives institutionnelles pour des raisons liées à leurs contraintes politiques ou à leurs restrictions budgétaires.

Le 26 avril 2018, un tribunal espagnol a condamné cinq hommes, formant une bande surnommée « La Meute », accusés de viol en réunion sur une femme, à des peines d’une légèreté troublante, ce qui a suscité une vague d’indignation à travers le pays. Deux jours plus tard, la journaliste Cristina Fallarás a publié le premier tweet portant le hashtag « #Cuentalo » (#Expliquez-le), où elle invitait toutes les femmes à décrire, en utilisant la première personne, des cas d’abus sexuels. Entre le 28 avril et le 15 mai 2018, 2,7 millions de tweets ont été postés en réponse à cet appel. Au même moment, la Société des archivistes catalans a décidé de lancer l’examen d’un modèle d’archive sociale, qui irait de la création à la contextualisation et à la diffusion, sachant que le hashtag avait pour vocation de devenir une archive numérique communautaire susceptible d’aider dans la lutte contre les violences masculines, en tant que moyen de réparation et d’autonomisation civique. Pour atteindre cet objectif ultime, nous avons décidé de créer d’abord une communauté de pratiques et de collaborer avec l’auteure du hashtag, avec un spécialiste en matière de journalisme de données et avec l’équipe d’analyse et de visualisation de données du Centre national de calcul intensif de Barcelone (BSC-CNS).

Les premiers résultats sont consultables sur le site web (www.proyectocuentalo.org). Les résultats les plus probants sont la conception d’un algorithme pour le traitement du langage naturel, qui a permis la classification automatique des 150 000 tweets initiaux obtenus via le hashtag ainsi que la création d’un système de visualisation interactive des données. Désormais, le défi principal consistera à mettre à l’épreuve le cadre archivistique collaboratif ainsi mis en place, en invitant les auteures des tweets à préciser le contexte, à évaluer et à enrichir ces informations qui leur appartiennent et que nous avons saisies.

Car c’est à partir de là que l’on passe de l’activisme archivistique à la conception d’une archive à caractère social : ce n’est pas qu’une question de technologie, mais également de politique et d’éthique. Permettre à tous d’atteindre une certaine autonomie en matière d’archivage est une des plus grandes contributions que nous pourrions apporter, en tant que professionnels du secteur, à une époque où l’infosphère est en train de vivre sa 4e révolution et où tout ce qui concerne notre identité et nos activités transite via des plateformes informationnelles, tant publiques que privées. La société s’est muée en archive. Au nom de la démocratie, il est temps de permettre à tout un chacun de devenir son propre archiviste.

Par Vicenç Ruiz Gómez, Vocal de Recerca de l’Associació d’Arxivers-Gestors de Documents de Catalunya, Membre du conseil de la Société catalane des archivistes et gestionnaires de documents

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