Mentorat et inclusion : une solution pour la pérennité et le dynamisme de la profession

La conférence 2018 du Conseil international des archives (ICA) qui s’est tenue à Yaoundé, au Cameroun, m’a ouvert les yeux. En tant que jeune professionnel, il s’agissait de ma première participation à une conférence internationale sur les archives, et j’ai réalisé que mes homologues n’étaient pas autant impliqués que je l’étais. Mes pairs, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne, ont brillé par leur absence, alors que pour la première fois, la conférence s’est déroulée sur le continent africain. Étonné, je me suis entretenu avec les professionnels d’Afrique subsaharienne qui étaient présents, dont le professeur Papa Diop du Sénégal, le professeur Ngulube d’Afrique du Sud et le professeur Wamukoya du Kenya, pour ne citer que quelques-uns de ces grands noms, ainsi qu’avec presque tous les directeurs d’Archives nationales d’Afrique. Beaucoup de questions me sont venues à l’esprit : n’y avait-il donc pas de jeunes professionnels œuvrant avec ces hommes et femmes de renom ? D’ici dix ans, où en sera l’Afrique subsaharienne au regard de la profession ? Qui reprendra le flambeau ? Et enfin, pourquoi mes pairs ne peuvent-ils pas s’élever ? Pourquoi ne pas porter les archives et la gestion documentaire vers de nouveaux sommets ? Et qui seront les prochains chefs de file, si l’on ne se charge pas de les encadrer et de les intégrer dès à présent ?

Je me réjouis d’avoir eu l’occasion, grâce à la Dre Seles, de faire office de rapporteur pour la session consacrée à l’élaboration de l’approche panafricaine de la gestion des archives et de l’information, afin de renforcer son importance dans les stratégies nationales et régionales – un événement majeur du Programme pour l’Afrique. J’ai également eu le privilège d’assister aux réunions de section, en particulier à celle de la région ESARBICA, au cours de laquelle a été soulevée la question de la non-participation des jeunes professionnels, ainsi qu’aux réunions de la Commission du Programme (PCOM) et de l’Association of Commonwealth Archivists and Records Managers (Association des archivistes et gestionnaires de documents du Commonwealth). Ces rencontres m’ont conforté dans l’idée qu’il y a un grave problème de pérennité professionnelle en Afrique subsaharienne. La carence en jeunes professionnels émergents peut également être constatée dans un article selon lequel un appel à contributions de février 2018, lancé par Archives & Manuscripts pour un numéro spécial consacré aux recherches et aux écrits des nouveaux chercheurs et professionnels, a abouti à la publication de seulement deux articles d’auteurs africains, l’un d’Afrique subsaharienne et l’autre d’Afrique du Nord.

À mon sens, la conception des archives du 21e siècle devrait donc faire appel au mentorat et à l’inclusion des jeunes professionnels afin de combler l’écart d’âge dans la profession, en particulier en Afrique subsaharienne. Les bases ont été posées, grâce aux grands esprits des années passées, mais maintenant une nouvelle génération doit émerger, du sang neuf doit être injecté dans la région subsaharienne pour que les professionnels de l’archivage et de la gestion documentaire puissent évoluer, et non stagner comme c’est le cas actuellement. Il faut procéder à une refonte complète ; la profession doit être repensée et redessinée, de jeunes professionnels (c’est-à-dire de moins de 40 ans) doivent émerger, combler les lacunes et propulser la profession vers d’autres horizons. C’est ce constat qui m’a poussé à créer l’Association des jeunes archivistes et gestionnaires de documents africains (AYARMA – Association of Young African Record Managers and Archivist), conjointement avec les quelques jeunes professionnels rencontrés à Yaoundé qui partageaient mon opinion. J’ai été rejoint, pour représenter l’Afrique occidentale, par un collègue nigérian et deux collègues camerounais ; un collègue de l’Ouganda, un de Maurice, et deux du Kenya représentent l’Afrique orientale ; enfin, un collègue zambien et un collègue botswanais représentent l’Afrique australe. Tous souhaitent vivement aller de l’avant pour concevoir la profession archivistique du 21e siècle en Afrique subsaharienne

Bonface Odhiambo (portant ici un t-shirt noir), archiviste de l’Université internationale des États-Unis-Afrique (United States International University Africa – USIU Africa), en compagnie d’étudiants en gestion documentaire et archivistique issus de diverses universités kenyanes, lors des festivités organisées à l’Université dans le cadre de la Semaine des archives 2019

À la lecture du billet de James Lowry, qui se dit préoccupé par le fait d’être secrétaire du Programme pour l’Afrique alors qu’il est blanc de peau, je dois dire en toute honnêteté que je partage ce sentiment. Je me rappelle en avoir fait part à quelques-uns de mes homologues, me demandant pourquoi les Africains ne pourraient pas gérer leurs propres enjeux et pourquoi aucun ne se manifestait-il pour prendre les choses en main. Et je ne peux pas réellement croire que les Africains soient incapables de consacrer du temps et des ressources au développement de la profession sur leur continent. C’est à cause de l’idée qu’on s’est fait de nous, les Africains, d’une idéologie obsolète selon laquelle nous ne pouvons pas saisir l’occasion qui permettrait à James d’atteindre son objectif de faire en sorte que, dès à présent, des chefs de projet africains, puis de jeunes professionnels dynamiques, soient guidés, formés et impliqués. C’est là notre porte de sortie, James ! Nous devons changer de stratégie en comblant les écarts d’âge ; la profession archivistique en Afrique a grand besoin d’être rajeunie et renouvelée.

Profitons donc de la Semaine internationale des archives pour concevoir nos métiers sous l’angle du mentorat et de l’inclusion des jeunes professionnels, afin de donner à la profession une perspective d’avenir, un nouvel élan, et d’insuffler un dynamisme bienvenu pour l’Afrique subsaharienne.

Par Bonface Odhiambo, Archiviste universitaire