À l’origine, les archives publiques devaient leur existence à leur qualité d’outil au service des droits du citoyen. Historiquement, l’apparition de ces nouvelles institutions a toujours été étroitement liée aux changements provoqués par les révolutions libérales en Europe et en Amérique dans le domaine de la reconnaissance des droits civiques.
En France, l’adoption de la loi sur les Archives nationales, qui a permis aux citoyens français d’avoir accès aux documents d’archives, date du 7 thermidor 1794, soit peu de temps après l’approbation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), aux premiers jours de la Révolution française. À partir de ce moment-là, les droits civiques et les archives et documents publics ont connu une évolution parallèle. Les services d’archives et de documentation ont dû adapter leurs structures et leurs règles aux avancées sociales et politiques afin d’être en mesure de répondre à la demande des utilisateurs et de permettre à ces derniers de jouir de leurs nouveaux droits, tels que le droit à l’identité (État civil) ou le droit à la propriété (Cadastre et registre des entreprises). Le fait que l’ICA soit créé en 1948 (le 9 juin, date de notre Journée internationale des archives) ne peut être un simple hasard, car il s’agit également de l’année où les Nations unies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Alors que le lien entre les archives et les droits de l’homme est souvent réduit à leur rôle de preuve en cas de violations majeures des droits de l’homme, les archives et les documents d’activité sont des outils incontournables dans différents secteurs du monde des affaires et dans nos démarches de tous les jours. L’importance des archives et des documents d’activité, qui permettent aux citoyens d’exercer leurs droits, notamment ceux admis comme « droits de l’homme » (Déclaration universelle des droits de l’homme, Nations unies, 1948), a été relevée dans de nombreuses déclarations officielles ainsi que dans des ouvrages universitaires. Au cours des dernières décennies, la reconnaissance du rôle fondamental joué par les archives et par les archivistes dans la préservation des droits de l’homme n’a cessé de croître.

Documents personnels du dictateur dominicain Rafael Leónidas Trujillo conservés aux Archives générales de la nation, Saint-Domingue (République dominicaine)
Toutefois, c’est dans le cadre de la lutte contre l’impunité que les instances des Nations unies responsables de la politique des droits de l’homme ont vraiment commencé à prendre la mesure des enjeux archivistiques, à plus forte raison face aux deux « nouveaux droits » que sont le droit de savoir et le droit à la vérité. La Commission des droits de l’homme des Nations unies a tenu compte de la nécessité préserver les documents témoignant de génocides, de crimes contre l’humanité ou de toute autre violation des droits de l’homme dans ses différents modèles juridiques (justice transitionnelle, cours pénales, tribunaux internationaux…). Les archives et les documents qui y sont conservés constituent nécessairement l’un des principaux instruments lors des procès intentés contre les auteurs de tels actes et leurs complices, et pour toute démarche visant à rendre leur dignité aux victimes. Au cours des 25 dernières années, le Conseil international des archives, principale organisation professionnelle du monde de l’archivage, a eu l’occasion à maintes reprises de faire part de ses inquiétudes et de son intérêt quant à cette problématique. Lors de sa 37e séance tenue au Cap en 2003, la Conférence internationale de la Table ronde des Archives (CITRA) a voté une résolution relative aux archives et aux violations des droits de l’homme. Celle-ci recommandait aux autorités gouvernementales et aux organisations internationales de faciliter l’exercice du droit de savoir en effectuant les démarches nécessaires à la préservation et à la conservation de toute archive, quelle que soit sa nature, qui témoignerait de tels crimes, en faisant connaître l’existence de ces fonds d’archives et en facilitant l’accès à ces derniers en adaptant ou en créant les cadres juridiques relatifs à l’accessibilité, tout en respectant le droit à la vie privée et le besoin de faire éclater la vérité. Dans cette recommandation, la CITRA a également souligné l’importance fondamentale des archives de tous les pays en tant que : preuves étayant le droit des victimes à la réparation ; facteur essentiel de la mémoire collective ; moyen permettant de déterminer les responsabilités en matière de violation des droits ; et élément clé de la réconciliation et de la justice universelle.
La création d’un groupe de travail sur les archives et les droits de l’homme au sein du Conseil international des archives a également été actée lors de la Conférence CITRA. Depuis la conférence ICA du Cap, le groupe de travail s’est étoffé et compte désormais 35 membres actifs. Il est aussi à l’origine de nombreuses publications, avec notamment, depuis 2009, sa lettre d’information mensuelle qui paraît en anglais, en espagnol et en français. En outre, le groupe de travail a publié un ouvrage intitulé Politiques archivistiques pour la défense des droits de l’homme et, en 2016, les Principes de base relatifs au rôle des archivistes et des gestionnaires de documents pour la défense des Droits de l’Homme. Ces derniers, élaborés par ICA-HRWG, ont été approuvés comme document de travail de l’ICA par la Commission du Programme. Ce même document a également été adopté par diverses associations nationales d’archivistes et par la Branche régionale de l’ICA pour l’Amérique latine (ALA). De plus, des colloques, des conférences et des ateliers consultatifs ont été organisés à travers le monde par les membres du groupe de travail, souvent en étroite collaboration avec d’autres institutions archivistiques et organisations de défense des droits de l’homme. Tout dernièrement, ce groupe de travail a entrepris sa transformation en Section de l’ICA, en raison du nombre grandissant de ses membres et de l’élargissement de la portée de ses travaux et de ses objectifs.
Par Antonio González Quintana Président du Groupe de travail de l’ICA sur les droits de l’homme (future Section sur les droits de l’homme)