À mesure que se profile la conférence d’Adélaïde, « Concevoir les archives », j’ai réfléchi à la façon dont nous concevons nos réseaux et collaborations d’un point de vue professionnel. Nous considérons parfois ces éléments comme des acquis, telles de véritables institutions ou des structures immuables, mais nous les créons et les recréons par notre implication, et nous pouvons les modifier.
Et certains d’entre eux en ont bien besoin.
Lors de son discours à l’AGA de l’ICA, qui s’est déroulée à Mexico en 2017, la Dre Esther Olembe, Archiviste nationale du Cameroun, demandait : « Où sont donc les gens de couleur ? » En effet, si l’on examine la composition du Comité exécutif, de la Commission du Programme (PCOM) et des bureaux des sections de l’ICA, on observe un grand nombre de personnes à la peau blanche. Je suis moi-même Secrétaire du Programme pour l’Afrique… et je suis blanc !
Le manque de diversité ethnique dans les plus hautes instances de l’ICA est certainement lié au fait que certains pays, institutions et personnes peuvent davantage se permettre (financièrement) de jouer un rôle actif dans la gouvernance de l’association. Par ricochet, cela reflète les inégalités économiques mondiales et nationales engendrées par une longue histoire de conquêtes et d’exploitation. Tout cela fait donc partie d’un problème beaucoup plus vaste, mais que faisons-nous pour rendre les structures de l’ICA plus représentatives de ses pays membres ou de leurs cultures et communautés ? Nous pouvons littéralement « décoloniser les archives », comme l’ont fait les Archives nationales néerlandaises, mais nous pourrions également « décoloniser » nos réseaux et infrastructures professionnels.
Les « Design Justice Network Principles » sont un ensemble collaboratif de principes pour une conception éthique, qui s’axent sur les communautés et visent à les affranchir des systèmes oppressifs. Nous pourrions nous inspirer de ces principes pour concevoir des systèmes et des processus d’archivage, mais nous pourrions aussi les appliquer pour remodeler nos relations professionnelles internationales ainsi que les mécanismes de coopération technique que nous avons instaurés.
Par exemple, si l’on considère le principe selon lequel « chaque personne possède une expertise basée sur son vécu » et cet autre, appelant à « respecter et valoriser les savoirs et coutumes traditionnels, autochtones et locaux », on est amené à s’interroger sur la diversité des membres de nos groupes d’experts. Comment jugeons-nous l’expertise ? Par le nombre de publications dans des revues spécialisées, sachant tous les obstacles qui entravent la contribution et l’accès à ces publications ? Par une expérience professionnelle internationale à laquelle bon nombre de nos collègues ne peuvent prétendre ?
L’ICA a bien progressé sur ces questions. Lors de sa réunion d’avril, PCOM a fait le constat de sa propre homogénéité structurelle, et elle prend actuellement des mesures en faveur de la diversité, démarche qui va vraisemblablement se poursuivre à Adélaïde. Le FIDA, le Programme pour l’Afrique et quelques autres initiatives de l’ICA ont sans conteste démontré leur attachement au principe de « faire entendre la voix des premiers concernés », mais nombreux sont ceux qui, au sein de l’ICA, ne reconnaissent toujours pas les déséquilibres actuels comme problématiques. Nous devons nous entretenir davantage à ce sujet, pendant la Semaine internationale des archives et au-delà.

Dr Esther Olembe et Dr Claude Roberto lors de ICA Mexico 2017. Crédit photo: Claude
Voici un autre exemple de la façon dont nous concevons nos réseaux : nous avons choisi d’établir certaines de nos normes par l’entremise de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Or, nombre de nos collègues ne peuvent se permettre financièrement de participer à ces travaux. Est-il fait mention des autochtones dans nos normes ? Y est-il fait mention de traditions (non européennes) ? Le septième des « Design Justice Network Principles » nous appelle à « partager les connaissances et les outils de conception avec nos communautés », mais une bonne partie de nos collègues n’ont pas les moyens d’acquérir des exemplaires des normes en question, une situation qui concerne notamment des organismes nationaux et des universités qui forment les professionnels de l’archivage de demain. Nous devons songer aux savoirs dont nous avons hérité, au travail non rémunéré que nous consacrons au développement de nouvelles connaissances, au fait de savoir si les réseaux existants encouragent vraiment une coopération juste et représentative, et à la façon dont nous voulons que les fruits de nos collaborations soient partagés.
Dans le cadre de l’auto-évaluation menée par l’Association of Commonwealth Archivists and Records Managers (Association des archivistes et gestionnaires de documents du Commonwealth), nous nous interrogeons sur le sens d’une organisation axée sur des traditions administratives, ces dernières étant de moins en moins marquées à l’heure de l’archivage numérique. Nous pouvons y voir un moyen d’aborder la question du patrimoine archivistique issu du colonialisme, par exemple les « archives migrantes » (Migrated Archive). Peut-être même que les réseaux qui portent l’empreinte du colonialisme pourraient être remaniés pour corriger les déséquilibres de pouvoir historiques et lutter contre les inégalités d’aujourd’hui.
En 2020, je quitterai mon poste de Secrétaire du Programme pour l’Afrique, une fonction que j’ai été invité à endosser parce que j’avais le temps et les ressources nécessaires pour assurer la coordination entre PCOM et les responsables de projets basés en Afrique. Si PCOM avalise une deuxième phase de ce programme, nous veillerons à ce que non seulement les chefs de projet, mais aussi les coordinateurs de PCOM soient Africains. Nous reconnaissons toutefois que cela requiert des personnes disposant de temps et de ressources, ce qui nous ramène à la question des inégalités économiques et de leurs racines coloniales.
Ces problèmes sont systémiques, complexes et interconnectés, et nous commençons à peine à les résoudre. Profitons de la Semaine internationale des archives pour faire le point sur nos réseaux et réfléchir à la meilleure façon d’en finir avec le colonialisme.
James Lowry, Directeur adjoint, Liverpool University Centre for Archive Studies